Au carrefour des cessions, l'existence de la clientèle

CA RENNES, 3ème Chambre commerciale, 3 septembre 2024, RG n°23/06929

La 3ème chambre commerciale de la Cour d’appel de Rennes, après avoir rappelé le principe selon lequel la clientèle a une place fondamentale dans la composition d’un fonds de commerce, précise les critères d’appréciation sur sa subsistance lorsque le fonds a subi une fermeture prolongée.

En effet, la clientèle est considérée comme l’élément essentiel du fonds de commerce, sans laquelle celui-ci ne saurait exister. La Cour de cassation affirme à cet effet qu'"il n'y a pas de fonds de commerce lorsqu'il n'y a pas ou lorsqu'il n'y a plus de clientèle qui s'y trouve attachée " (Cass. com., 31 mai 1988, n° 86-13.486)."

Dans cet arrêt, l’exploitant d’un fonds de commerce de restauration-crêperie a été placé en liquidation judiciaire par jugement du 5 septembre 2023 du Tribunal de commerce de Saint-Malo.

Le liquidateur a alors cherché un repreneur et par ordonnance du 27 novembre 2023, le juge commissaire a autorisé la cession dudit fonds pour la somme de 17.000 euros.

L’ordonnance a fait l’objet d’un appel par le bailleur aux motifs que ledit fonds n’était composé que du seul droit au bail puisque que le restaurant ayant été fermé depuis plus de 15 mois, aucune clientèle ne pouvait y être attachée. En d’autres termes, il était donc soutenu qu’il s’agissait d’une cession déguisée du seul droit au bail, laquelle était prohibée par le bail.

La difficulté était donc d’apprécier les conséquences de la fermeture prolongée du restaurant sur sa clientèle, laquelle ne disparait pas nécessairement, dès lors que certaines circonstances de fait permettent qu'elle se reconstitue immédiatement à sa réouverture.

Pour ce faire, la Cour se base sur deux éléments pour apprécier la possible reconstitution de cette dernière, à savoir la clientèle attachée au fonds eu égard à la notoriété du restaurant et l’achalandage eu égard à son emplacement.

Or, la Cour relève qu’il n’est pas démontré que le chiffre d’affaires de l’exploitant avant la fermeture soit suffisant pour démontrer l’existence d’une certaine notoriété permettant de soutenir qu’il existe une clientèle fidèle attachée audit fonds.

Par ailleurs, la Cour observe qu’il n’est pas non plus justifié que l’emplacement soit très favorable au regard du caractère touristique de la ville étant rappelé que le bailleur avait pris le soin de faire établir un procès-verbal de constat pour démontrer l’absence de chalandise aux alentours des locaux.

A défaut d’apporter des preuves démontrant que l’existence d’une clientèle fidèle, autrement dit une clientèle concrète ou d’un achalandage suffisant, autrement dit une clientèle potentielle, la Cour n’a pu que constater la disparition du fonds et a par conséquent infirmé l’ordonnance autorisant la cession dont il manquait l’élément pourtant essentiel.

Enfin, la Cour relève également un élément jugé contradictoire puisqu’il n’était pas expliqué les raisons pour lesquelles le repreneur qui avait offert la somme de 54 000 euros selon compromis sous condition suspensive d’un prêt en juillet 2022 alors que le fonds était encore exploité, n’a offert en novembre 2023, soit quinze mois après la fermeture de l’établissement, que la somme de 17 000 euros. En l’absence de justification, la Cour en déduit donc qu’un tel différentiel ne peut s’expliquer que par la disparition de la clientèle.

Si le but du liquidateur de vendre les actifs de la société au meilleur prix était légitime, il n’en demeure pas moins qu’elle ne pouvait s’opérer par le truchement d’une cession dont il a été jugé qu’elle était illicite au regard des clauses et conditions du bail.

Au carrefour des cessions envisagées, la clientèle demeure une nouvelle fois au centre des attentions.

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